Derrière l’image : l’entre des étais

« L’air est autour d’elles comme autour de rochers. S’il y a en elles
un mouvement vers en haut, il semble aussitôt que les cieux en soient soulevés,
et la fuite de leur chute entraîne les étoiles. »

Rainer-Maria Rilke, Rodin

C’est une inscription dans une famille artistique et intellectuelle que la peintre Maude Maris révèle en partie dans cette exposition. Une famille de sculpteurs. Les premiers auxquels elle se réfère sont des figures phares du XIXème siècle : Bourdelle et Rodin. Viennent ensuite Brancusi et Moore. Ces figures font figure puisque les sculpteurs évoqués sont eux-même dans un rapport de filiation. Rupture, continuité, désir et reconnaissance les lient entre eux, les lient à elle. Elle vient fouiner dans les affres de leurs ateliers  pour y déceler les limites, les secrets, les enjeux multiples. Ainsi l’espace de l’atelier apparait dans son creuset de réflexion à la fois comme espace physique et comme espace de transmission et devient ainsi questionnement à part entière. Donc, si ces figures font figure, elles établissent aussi un profil, une inclinaison vers des préoccupations : un besoin de revenir aux sources de l’atelier et de ce qui, au fond, s’y produit d’indicible.

Ici il y a des images photographiques à la source, elles ne sont pas le modèle mais le matériau initial. On sait que la relation entre la photographie et la peinture est d’emblée l’enjeu d’un grand débat au XIX ème siècle, d’une esthétique aussi. On connait les mots durs de Baudelaire sur la photographie (« la vile servante des arts »), on connaît aussi le profond impact de ses cadrages, de ses lumières, de ses compositions sur les peintres et la transposition dans leur peinture. Un renouvellement qui ressourçait la pensée. Maude Maris est une intrigante qui joue des dialogues intimes entres les sculpteurs et leur pans photographiques cachés auxquels de petites figurines entremetteuses dispensent de malicieux clins d’œil picturaux.

Dans son atelier il y a elle, sa lumière, la délicieuse approche de sa pensée, les livres qui jalonnent ses procédés et nourrissent son approche silencieuse. De part et d’autre des murs se font face les photographies et ses peintures. Entre, il y a là, furtive et délicate, l’énergie du peintre. Elle abrase l’image et la fond dans une atmosphère crayeuse. Une tension perceptible qui tente de se rejouer dans l’espace d’exposition.

Suspensions et contrepoids, recouvrements et transparences, limites et confrontations de surfaces, les gestes, les touches et textures montrent la réflexion intime qu’elle a nourrie dans l’élaboration de cette série. La photographie étaye la peinture…

Or l’échafaudage est cet élément de soutien, cet étai provisoire mais nécessaire pour que les choses tiennent le temps de l’élaboration. Un état de suspens. C’est donc dans le cœur des ateliers des maîtres où se trame l’intime – ce qui ne devrait pas être visible – que vient se ressourcer plastiquement et sensiblement Maude Maris. En fait, l’image photographique rend cette part de visible. Elle confère une présence à cette latence de l’expérience qui se niche dans les entres des étais, dans les atmosphères singulières de ces ateliers. Problématique plastique, métaphore d’une évolution, construction picturale, les peintures de la série Les Grands Profils déploient d’angle en angle les comportements de la matière, sa mollesse comme sa minéralité. Dans les prises de vues d’atelier de ces sculpteurs, les échafaudages créent des lignes de force au sein de la composition de l’image photographique. Ils composent tout en brouillant la lisibilité des sculptures et révèlent l’atelier comme œuvre.

Chacune des peintures semble apparaître comme un grand pan, un des profils d’un projet plus général au sein duquel s’inscrit le comportement des éléments dans l’espace physique du support. La série sobre présente neuf peintures aux formats identiques (120 x 90 cm) qui permettent à Maude Maris de se jouer des tours de l’espace et de la gravité chaque fois différemment tout en conservant une unité. Les problématiques inhérentes à la sculpture sont inscrites dans son travail pictural. On y ressent le poids, la gravité, les renversements de l’espace. Du volume aux plans, ces figures placées dans l’espace pictural parlent de sculpture mais restent des présences libérées des références. Une façon de mettre à jour le processus sous-jacent par le truchement de la figure.

Sa délicate palette et sa touche légère, à peine posée, viennent parfois modeler les formes. Parfois c’est un geste plus radical, plus pictural qui vient contredire la figure. Les couleurs rompues par la lumière subtile livrent ainsi les facettes de chaque peinture. Ce sont des gestes de peintre aussi, des structurations d’espace. Elle semble avec élégance et culture se livrer aux pièges de l’image photographique tout autant qu’à de ceux de l’espace pictural. S’y livrer pour désincarcérer les éléments qui les sous-tendent, les libérer pour tendre des fils d’Ariane. Les Grands Profils éliment le caractère photographique tout en conservant l’essentiel du corpus qui les animent, ils éliminent l’image et livrent une pure peinture.

Texte Laurence Gossart © 2017 Point contemporain

Maude Maris, Les grands profils
Exposition personnelle du 02 au 28 septembre 2017, Galerie Isabelle Gounod