Catalogue du prix de Novembre à Vitry, BIENVENUE AU PALAIS

Partout présents, acteurs d’une gestation étrange, les objets de Maude Maris sont à l’origine de ses peintures. L’artiste s’est créé des petites familles chinées dans les « foires-à-tout », des topographies Playmobil, des éléments d’allure mécanique, des formes géométriques basiques ou encore des pièces en creux qui évoquent des piscines ou des lacs artificiels. Maude Maris moule ensuite ces objets miniatures, les rehausse de peinture puis les met en scène dans une maquette minimale dont le plan est partitionné en fonction de chaque nouveau projet. Dans cet espace non typé, l’artiste manipule ses objets jusqu’à leur inventer un rythme de cohabitation, dans lequel la lumière joue un rôle essentiel. Photographiés, ils sont alors prêts à entrer dans la peinture, et à questionner leur relation à l’espace pictural. Enfin, Maude Maris les extrait parfois du tableau pour les spatialiser – via un nouveau scénario sculptural cette fois-ci – dans l’espace d’exposition, cherchant à jouer encore différemment la qualité de leur présence, en dialogue tendu avec le contexte et les lois de la gravité. Pour cette artiste, donc, les volumes sont des entrées, mais aussi des sorties, et la peinture une pièce de vie.

Ce que nous voyons, ce qui nous regarde
Georges Didi-Huberman en fait la démonstration avec le grand cube noir du sculpteur Tony Smith, mais chez Maude Maris cela fonctionne aussi : ses rassemblements d’objets peints révèlent peu à peu leur pouvoir de fascination, leur inquiétant mutisme, leur intensité. Les regarder, c’est repenser le rapport de la forme et de la présence, de l’abstraction géométrique et de l’anthropomorphisme. Incidemment, l’artiste parle de ses objets comme de caractères : ils se partagent un même espace, que l’artiste tend à sur-peupler dans ses dernières toiles. Elle nous pointe ainsi des questions de peinture (l’importance du cadre, de l’installation, la bonne échelle de représentation, le traitement de la perspective), mais nous renvoie aussi à la vie quotidienne (trouver notre place, habiter l’espace, en solo ou au sein d’une multitude).

L’art de la mémoire
Maude Maris a beaucoup réfléchi la question de l’image comme manière de faire du faux, du côté de René Magritte comme de Thomas Demand. Mais elle s’est aussi intéressée à la faculté qu’eut la peinture — au Moyen-Âge et début Renaissance — d’articuler des chambres de mémoire, telles que les a décrites Frances Yates traduite par Daniel Arasse. À la manière des Primitifs italiens qui scindent l’espace en cases pour y intégrer différentes narrations et temporalités au sein d’un ensemble, les tableaux de l’artiste pourraient alors se lire comme les différentes pièces d’un même bâtiment cérébral, un palais-polyptique où chaque pièce incarnerait une association d’idées.

L’inventaire indécis
Dans ce palais silencieux, les impassibles objets et espaces de Maude Maris demeurent traversés de multiples référents : certains fragments évoquent les ruines, l’univers des fouilles et des réserves de musée ; d’autres éléments sont très proches du mobilier et disent en creux le corps absent ; l’espace est à la fois domestique et mystique, nimbé d’arrivées de lumières spectrales ou d’ombres projetées irréelles ; l’atelier et la notion de plateau de tournage sont aussi conviés, un envers de décor avec étais et cimaise ; mais on croise également un moule à gâteau qui vient souligner le côté culinaire des ambiances chromatiques, façon cupcakes et pièces montées. Enfin, ici ou là, des escarpements montagneux, des reliefs de grotte ou de muqueuse ou de flore sous-marine légèrement gélatineuse. Mais aussi, entêtants, ces empilements d’objets à l’esthétique géométrique et minimale, qui rappellent les étagères de l’atelier de Brancusi.
Piochées dans la variété du monde, ces formes laconiques chargées de sédiments paradoxaux distillent le doute : paysage calme pour réalité flottante, peuplée d’objets schizoïdes, caractérisés mais pourtant dotés d’une personnalité instable, et tous liés à la notion d’artifice et d’architecture, de multitude et de solitude.

Ouvrir l’espace
Si elle-même se revendique bien davantage peintre que sculpteur, Maude Maris se lance de plus en plus dans l’imbrication des pratiques — elle cite d’ailleurs Jessica Stockholder ou Richard Tuttle pour leur grande liberté à circuler d’un médium à l’autre. Dans ses travaux récents, il semble patent qu’une ouverture de l’espace pictural (disparition du plafond omniprésent dans le passé, entrée vive de la lumière, apparition de lavis et de trouées presque transparentes, surgissement de couleurs plus soutenues et moins froides) va de pair avec une recherche sculpturale de l’envol, de l’évidement des structures porteuses, de la lévitation des formes qui se décorporent. Si la peinture continue de défendre son aisance crémeuse et lisse, si les variables climatiques indiquent toujours une tendance polaire, dans l’univers de Maude Maris des signes d’éclaircies moins maîtrisées pointent à l’horizon. Comme un lâcher-prise annoncé dans ce palais mental.