Artothèque de Caen
On peut répéter, après quelques-uns, que Maude Maris fabrique des objets, qu’elle les moule et, qu’ensuite, elle place les formes obtenues par moulage dans une petite boîte, maquette ouverte sur un côté, et qu’elle photographie, dans un éclairage donné, la composition et c’est à partir de la photographie qu’elle effectuera une peinture.
Proposition 1
La peinture de Maude Maris est, donc, soumise à un processus ou, plus précisément, à la mise en place d’un dispositif qui peut évoquer celui de Giorgio Morandi – chez ce dernier ce sont des objets réels recouverts d’une couche de peinture blanchâtre et disposés sur une sellette soumis à des déplacements minimes années après années – ou celui de Nicolas Poussin – qui effectuait des mises en scène avec de petites figurines avant de commencer sa composition – et qui, comme Morandi, n’est pas montré, mais est sous-jacent, base de la peinture et non finalité. À la différence de Morandi qui vérifie d’après nature – même si celle-ci est théâtralisée –, on peut supposer que ce dispositif est une mise à distance : ce n’est pas l’objet que Maude Maris peint, mais une photographie d’un positif obtenu par moulage. La peinture est, donc, le résultat d’une série de filtres qui visent à abstraire l’objet. L’objet est, non seulement, dénaturé par la moulage, mais, également, par la photographie qui aplatit cette réalité, puis par la peinture puisque la couleur donnée à l’objet dans le tableau ne correspond en rien à l’objet de départ. Il en va de même pour les matières qui prennent une dureté ou une mollesse, une brillance ou une matité, là aussi, indépendante du document initial. Il y a projection d’un arbitraire pictural – comme par une opération de mapping dans un logiciel 3D – sur une base de réalité interprétée.
Proposition 2
Il ne s’agit donc pas, seulement, de mesurer quel est l’espace entre les choses ou comment un objet vient vibrer à proximité d’un autre – ce qui était l’essentiel de la peinture de Morandi –, mais, aussi de construire un espace qui semblera plausible avec ces objets arbitraires. La boîte dans laquelle sont placés ces artefacts est un lieu neutre où s’établissent des relations tangibles entre des objets pourtant abstraits – au sens où ils ne ressemblent à rien d’autre qu’à eux-mêmes et qu’ils n’entretiennent qu’un rapport lointain avec la réalité. Comment passe-t-on d’une masse à une autre, d’une diagonale à une courbe, d’un empilement à une dispersion, d’un creux à un plein, d’une ombre à une lumière, d’un reflet à son absorption… ? Maude Maris nous donne à voir des objets abstraits, mais les moyens picturaux mis en œuvre pour nous les montrer sont figuratifs. La peinture est, chez Maude Maris, le moyen de nous faire croire à des abstractions. Elle procède d’une illusion anomale – tout comme dans la peinture d’Yves Tanguy bien que je ne croie pas que cet artiste soit revendiqué comme une influence par Maude Maris.
Proposition 3
Les moyens utilisés tendent, donc, vers le vraisemblable dans l’imitation par la lumière, le modelé, l’ombre portée, la perspective… Si la peinture de Maude Maris évoque un langage bien classique, elle semble se rapprocher encore plus de l’imagerie digitale, celle que l’on appelle l’image de synthèse et qui domine et va encore plus dominer dans la représentation, de nos écrans d’ordinateur à celui du cinéma. Mais l’image de synthèse évoquée ici est plus archaïque que celle utilisée par James Cameron dans Avatar. Les peintures de Maude Maris semblent construites comme des images synthétiques (construction 3D et mapping), mais celle-ci montrent qu’elles sont artificielles, ne tentent pas de nous leurrer, insistent sur leur nature d’artefact, sur le fait que nous sommes devant des simulacres. L’illusion est minimale. Il s’agit de construire une abstraction paradoxale.
Proposition 4
Abstraire, abstractions… on peut supposer que si ce dispositif est utilisé, c’est pour construire un espace analogique qui pourra être mis en relation avec le réel, mais sans être nommable ou assignable ou qu’il s’agit de représenter un espace mental – on passe d’un réel à une vue de l’esprit par l’ensemble des moyens déployés par le dispositif. Ou : on voit des objets virtuels dans un espace et une lumière plausible sans qu’il soit possible de dire ce dont il s’agit. De la même manière, l’échelle de ces objets est inconnue et n’est pas nécessairement donnée par les dimensions de la peinture. Tout au plus peut-on dire qu’ils sont contenus dans une pièce – exceptés les petits formats qui montrent ces objets disposés simplement sur un sol dont la profondeur est donnée par un dégradé. Nous sommes devant des représentations d’un monde à la fois familier – le langage utilisé tente de le rendre – entièrement dévolues à la représentation de virtualités qui sont peu bavardes – sinon par ces fameuses analogies qui restent tout de même aléatoires, comme toute analogie –, ne désignent rien, restent secrètes.
Proposition 5
La peinture de Maude Maris est d’autant moins bavarde que les moyens mis en œuvre pour leur réalisation sont remarquablement discrets : pas d’empâtements, pas de gestualité, pas de coulures… juste ce qui est nécessaire dans une touche visible mais homogène, dans une exécution appliquée et propre mais sans brio. La peinture de Maude Maris est une peinture lisse dans sa surface et d’une expressivité discrète dans ses effets. Le seul effet qui est accentué est celui du reflet des objets sur le sol, évocateur évident d’un cliché d’aujourd’hui, celle des interfaces graphiques des ordinateurs et lecteurs mp3 d’Apple – en cela un stéréotype tout aussi inexpressif. Elle est une peinture distanciée, sans ego – et c’est en cela surtout qu’elle m’évoque la peinture d’Ed Ruscha. Vide de tout contenu symbolique, de toute expressivité, de toute référence à un réel… elle est la représentation d’une scénographie qui n’attend aucun acteur, aucun corps et aucun texte pour exister. Elle scénographie sa propre puissance à être dans un silence presque complet.
Propositions concerning the paintings of Maude Maris
(traduction Stéphanie Levet)
Let us say once again, after a few others, that Maude Maris makes objects, that she moulds them, and then places the shapes she has cast into small boxes, models that are open on one side, that she then, under given lighting conditions, takes photographs of her compositions, and that it is finally from these photographs that she paints her paintings.
First Proposition
Maude Maris’s paintings thus undergo a process or, rather, the implementing of a setup which may recall Giorgio Morandi’s—with Morandi the setup consists in real objects covered in whitish paint and arranged on a small stand being year after year submitted to minor displacements—or Nicolas Poussin’s—Poussin staged figurines before starting on his compositions—, a setup which, as with Morandi, is not shown, but which is nevertheless underlying the painting, being its basis and not its end. We can suppose that, contrary to Morandi who checked after nature—even though it was a theatricalized nature—, Maude Maris conceives of her setup as a way of putting things at a distance : she is not painting an object, but the photograph of a positive she has obtained through casting. Her painting is thus the result of a series of filters whose aim is to abstract the object. The object is denaturalized not only through the casting process but also through photography, which flattens its reality, and then again through painting, as the colour given to the object in the painting has nothing to do with that of the initial object. And the same goes for materials, which take on a hardness or softness, a brightness or dullness that bear no relation either to the original document. A pictorial arbitrary is being projected—as if through the use of mapping in 3D computer graphics software—onto a basis of interpreted reality.
Second Proposition
What is at stake, then, is not only measuring what space there is between things or how one object is made to vibrate near another—which was what Morandi’s painting was essentially concerned with—, but also building a space that will seem plausible with these arbitrary objects in it. The box in which these artefacts are placed is a neutral place where tangible relationships between nevertheless abstract objects are established—abstract in the sense that they bear no resemblance to anything but themselves, and that they are only remotely connected with reality. How does one go from one mass to another, from a diagonal to a curve, from a piling-up to a scattering, from a hollow shape to a solid one, from a shadow to light, from a reflection to its absorption… ? Maude Maris makes abstract objects visible to us, but the pictorial means she uses to show them to us are figurative. With her, painting is a way of making us believe in abstractions. She resorts to an anomal illusion—just as Yves Tanguy did in his paintings, although I do not think she claims him as an influence.
Third Proposition
So the means Maude Maris uses tend towards likeliness thanks to imitation through light, relief, shadow, perspective… Maude Maris’s painting may evoke a language that is quite classic, yet it seems to be much closer to digital imagery—to those images commonly referred to as computer-generated images which today dominate representation, and will even more in the years to come, from our computer screens to the big cinema screen. But the type of computer-generated image that is being called to mind here is more archaic than that used by James Cameron in his movie “Avatar”. Maude Maris’s paintings seem to be made like digital images (3D modeling and mapping), but they show that they are artificial, they do not attempt to deceive us, they insist on their being artefacts, on our being faced with simulacra. The illusion is minimal. The point is to build a paradoxical abstraction.
Fourth Proposition
Abstracting, abstractions… We can suppose that such a setup is used to build an analogical space that it will be possible to connect to the real, but without it being nameable or assignable, or to represent a mental space—via the series of means deployed in the setup we go from a reality abstracted from the real to a reality seen in a mind’s eye. Or, put differently : we can see virtual objects in a plausible space and light without being able to say what it is we are seeing. Likewise, we do not know the scale of the objects and it is not necessarily inferable from the dimensions of the painting. All we can say is that they are contained within a room—except for small size works which show objects that are simply placed on a floor whose depth is indicated by shaded tones. We are facing representations of a world that is familiar—the language that is used aims to make it seem so—which are yet entirely devoted to representing virtual realities that do not say much—except through those analogies already mentioned, which even so remain uncertain, as all analogies will—, representations which do not designate anything, which remain secret.
Fifth Proposition
Maude Maris’s painting is all the more secretive as the means implemented for its realization are remarkably discrete : no impastos, no gestural marks, no dripping… only what is necessary to a visible yet homogeneous brushwork, to a neat and meticulous execution that shuns virtuosity. Maude Maris’s painting is smooth on the surface and discretely expressive in its effects. The only effect that is emphasized is that of the objects’ reflections on the floor, an obvious evocation of a cliché of our times, the graphic interfaces of computers and Apple MP3 players—and as such, they are just as inexpressive stereotypes. Maude Maris’s painting is detached, egoless—and it is mostly in this respect that it reminds me of Ed Ruscha’s painting. It is devoid of any symbolical content, any expressivity, any reference to any kind of real… It is the representation of a scenography which is waiting for no actor, no human body and text, to come into being. It is staging its own power to be in almost complete silence.