Galerie du Haut-Pavé

Dans les peintures de Maude Maris, on remarque d’abord le cadre des scènes qui nous sont proposées. C’est un espace générique, gris et abstrait, qui procure une illusion de réalité par le recours à certains effets de perspective et le traitement pictural des objets qui y sont installés. Ces objets sont hiératiques et silencieux. Ils sont souvent disposés en vis-à-vis. Le cadre étrange qui les englobe et les protège est un cadre ouvert qui rappelle celui des séries de Maisons peintes par l’artiste en 2008 : des vues d’espaces en coupe, d’intérieurs compartimentés et vides dotés de couleurs vives, qui peuvent aussi bien évoquer les « Trésors » de la Grèce antique qu’une maison de poupée. À qui ces objets s’adressent-il ? À quoi sont-ils voués ?
Les « Trésors » grecs, petits temples aux fonctions votives et commémoratives, abritaient des objets précieux et hétéroclites dédiés aux divinités (Athéna et Apollon) : vases, boucliers, métaux, statues de dieux et d’hommes illustres de différentes tailles. Ils étaient installés dans des sanctuaires. Dans les peintures de Maude Maris, un dialogue mystérieux s’instaure entre les objets. Les titres (Réunion, Communauté, Mont rose…) appuient sur l’idée que nous sommes face à des objets humanisés, peut-être sacrés. Or, ces objets devenus figures ne sont pas précieux, ils sont issus du monde industriel et quotidien. L’artiste les réalise d’abord en volume à partir de moulages en plâtre des objets originaux, puis les peint dans des tons vert, bleu, bronze, argent. Ils sont en partie constitués de stries, de failles, de plissures qui génèrent des dessins aux accents minéraux, végétaux ou mécaniques. Comme si ces objets, au-delà de leur enveloppe lisse et autoritaire, possédaient un intérieur vivant. Ainsi, dans ce monde architectural et mental qui semble obéir à des règles d’ordonnancement strictes, un monde organique artificiel et stylisé apparaît qui s’accorde avec la représentation elle-même artificielle de l’espace dans les tableaux. Ces stries, ces failles, pourraient aussi suggérer qu’une forme d’entropie s’empare de ces scènes, comme dans le tableau Bunker (2007) où une masse monolithique est découpée en divers morceaux éclatés sur le sol et habillés de couleur verte. Mais le risque de l’entropie est comme lissé, domestiqué par le traitement pictural des surfaces. Une dualité demeure, qui peut évoquer certains projets des architectes utopistes tels Etienne-Louis Boullée lorsque ceux-ci représentaient, dans leurs temples, l’association de l’esprit et de la nature, le mariage entre une géométrie pure et une nature idéalisée.
Les formes arrondies et lisses de ces objets aux couleurs chatoyantes contrastent avec le décor qui les accueille. Par l’indétermination de leur échelle, les objets s’apparentent à des éléments de mobilier ou des maquettes d’architectures, mais ils possèdent aussi une autre identité. Un certain grotesque s’immisce dans les peintures, par l’écart pris vis-à-vis de l’objet utilitaire et de la construction rationnelle. Une ironie, une incongruité viennent perturber la vision de ce monde mental qui semble si bien contrôlé. Ces dimensions peuvent renvoyer à la peinture d’un Wayne Thiebaud qui réalisait notamment des séries de gâteaux et d’objets du quotidien alignés, des natures mortes ludiques de la société de consommation de masse. Elles font, encore, songer au gros gâteau blanc sphérique réalisé en hommage à Boullée par le personnage du Ventre de l’architecte de Peter Greenaway (1987). On oscille entre mou et dur, organique et spirituel, humanisation et abstraction, entre dureté et gourmandise. Dans les oeuvres de Maude Maris, tout semble ainsi affaire de transposition et d’illusion. Le regard est dérouté par le jeu sur l’illusion de perspective, sur les mélanges d’échelles et de plans. On se perd dans des images d’images, des espaces reconstitués, de fausses profondeurs, de fausses hiérarchies. S’ouvre à nous un espace mental qui conjugue des strates de temporalités, de symboles lointains et familiers, et maintient le trouble sur ce qui est réellement perçu. Une nouvelle « chair » apparaît, dont la représentation repose sur la tentative d’animation et de poétisation d’objets et d’espaces a priori inertes, indifférents, génériques. C’est ce qui donne à la peinture de Maude Maris son mystère et sa puissance d’attraction.