Les noctambules
Les œuvres de Maude Maris (peinture, dessin, sculpture) sont un jeu avec l’illusion, par les tensions créées entre les objets représentés et leur mise en scène, entre un vocabulaire formel s’appuyant sur des éléments familiers (végétal et minéral, industriel et architectural) et celui de l’abstraction. Dans ses peintures à l’huile évoquant des natures mortes, l’artiste donne à voir un monde à la fois matériel, charnel et mental dont la dimension fantastique semble s’intensifier.
On trouve des tensions similaires dans l’intervention de Maude Maris au Théâtre de Caen, une série de grandes photographies murales fixées sur neuf parois des foyers. Sur quatre niveaux, Les Noctambules présente des paysages imaginaires fonctionnant par paires inspirés de spectacles de danse et d’opéras joués dans les murs du théâtre. L’ensemble obéit à une progression spatiale et narrative qui mêle formes géométriques et organiques, effets de densité et d’éclatement. Les références aux scénographies et décors des spectacles choisis par l’artiste deviennent des éléments résiduels (objets et fragments d’objets, figures, sculptures) qui prennent place dans un espace-temps onirique, à la profondeur déstabilisante. Plusieurs types de déplacements sont à l’œuvre : permutations de certains objets et figures d’une scène à l’autre, passages d’un monde en torsion, physique et nerveux (Blanche-Neige d’Angelin Preljocaj) à des évocations de l’enfance (Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein et L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel) ou un classique du ballet (Le Lac des cygnes).
À partir d’une sélection d’objets de ses collections (repris en moulages de plâtre teinté ou blanc, ou utilisés tels quels, puis photographiés sur un fond anthracite), Maude Maris recompose ainsi des sortes de ballets, de danses. Les images, mêlant effets de flou et de netteté, et les matières lisses, plissées et rugueuses des objets figurent des assemblées mystérieuses dont on ne sait si elles sont inquiétantes ou bienveillantes. Le spectateur est confronté à une expérience quasi-métaphysique qui opère sur les processus de reconnaissance et de perte des échelles et de la réalité des objets. C’est toute la force et l’originalité de cette installation qui conjugue l’idée d’une mémoire des formes avec les dimensions éphémère et magique propres à tout spectacle.
Alice Laguarda
Critique d’art et d’architecture, professeur d’esthétique à l’Esam Caen/Cherbourg