« Les grands profils »

Maude Maris peint le volume des images. Elle dérange aujourd’hui les curseurs de son système de représentation en considérant de plus près encore, la majesté de la sculpture. Sa nouvelle série de peintures invoque ainsi quatre maîtres ayant contribué à la modernité du genre, depuis l’intimité de leur espace de travail. Tous confessent un usage de la photographie comme révélateur de leurs œuvres.

Auguste Rodin aimait faire visiter sa collection d’antiques à la bougie. L’éclairage théâtral laissait naître successivement toutes les formes du marbre, vivifiées par la lueur chancelante de la flamme et par la marche de l’éclaireur. C’est par ce double truchement lumineux, que les chefs-d’œuvre surgissaient, blanc sur noir, pierre sur nuit.

Maude Maris saisit cette pleine compréhension des formes, par une facture d’une rugosité nouvelle. Toute la minéralité chère à notre peintre résonne avec le procédé-même du développement argentique des tirages anciens, et autres alchimies de lumière. En son laboratoire, elle génère des émulsions rêches, recalibrant son habituelle résolution.           

Antoine Bourdelle a concentré sur son Monument de Montauban, l’essentiel de ses recherches iconographiques. Ses sept cents clichés sont autant de plans pour mieux manifester l’illusion du mouvement, folioscope qui excite notre persistance rétinienne. Familier des théories du cinématographe, l’artiste offre à son monolithe, une continuité narrative.

Maude Maris, par cette triangulation entre les médiums, désamorce la position frontale imposée à toute toile. Le point de vue unique s’enrichit du feuilleté de ses sujets, peintures de photographies de sculptures de sculpteurs photographiant. Les filtres évitent l’exhibition de ce qui est en jeu au sein de l’atelier. Ces secrets intriguent justement notre observatrice, obscénité de la pénétration des choses ou de leur accouchement.      

Constantin Brancusi a accompli son appétit d’infini par le film, hors des contingences des matériaux et de leur pesanteur. L’invention promettait à sa Colonne sans fin une perspective inouïe grâce aux métrages de la pellicule et à la magie du reste. Érection dans l’objectif, le visionnaire imprima sur la surface gélatineuse, l’image de motifs décuplés en une verticalité jamais atteinte jusqu’alors.

Maude Maris reste attentive à ces endroits, ces moments, où tout ne tient pas encore. Si elle furette dans les coulisses des Grands, c’est qu’elle y trouve la figure d’une vulnérabilité, le risque d’une stature précaire, et toutes ces astuces pour en préserver la tenue. Étais, béquilles et échafaudages forment une enveloppe graphique rassurant les masses. Le monde a un poids. Le voici portraituré avec pour fond, la clarté du plâtre ou l’obscurité de fresques éteintes.   

Henry Moore exploite la photographie avec discrétion, outil pour caler l’échelle de ses odalisques. Par des montages, il ajuste leur rapport au paysage. Ces collages lui ont prodigué un recul efficace, quand son corps-à-corps avec la matière ne suffisait plus. Entre miniature et monumental, il s’agit de reformater un juste équilibre.   

Maude Maris aligne ici en un sobre accrochage, une dizaine de rectangles. Chacun d’entre eux nous emporte pourtant au cœur de leur superficie. Ainsi, le profil contrairement à la face, statique, invite au contournement. Cela réclame un pas de côté, un magnétisme de la périphérie. Dans l’optique d’une volupté à embrasser, ça tourne.

Joël Riff, commissaire à Moly-Sabata et rédacteur de la chronique Curiosité, juin 2017.

Derrière l’image : l’entre des étais

« L’air est autour d’elles comme autour de rochers. S’il y a en elles
un mouvement vers en haut, il semble aussitôt que les cieux en soient soulevés,
et la fuite de leur chute entraîne les étoiles. »

Rainer-Maria Rilke, Rodin

C’est une inscription dans une famille artistique et intellectuelle que la peintre Maude Maris révèle en partie dans cette exposition. Une famille de sculpteurs. Les premiers auxquels elle se réfère sont des figures phares du XIXème siècle : Bourdelle et Rodin. Viennent ensuite Brancusi et Moore. Ces figures font figure puisque les sculpteurs évoqués sont eux-même dans un rapport de filiation. Rupture, continuité, désir et reconnaissance les lient entre eux, les lient à elle. Elle vient fouiner dans les affres de leurs ateliers  pour y déceler les limites, les secrets, les enjeux multiples. Ainsi l’espace de l’atelier apparait dans son creuset de réflexion à la fois comme espace physique et comme espace de transmission et devient ainsi questionnement à part entière. Donc, si ces figures font figure, elles établissent aussi un profil, une inclinaison vers des préoccupations : un besoin de revenir aux sources de l’atelier et de ce qui, au fond, s’y produit d’indicible.

Ici il y a des images photographiques à la source, elles ne sont pas le modèle mais le matériau initial. On sait que la relation entre la photographie et la peinture est d’emblée l’enjeu d’un grand débat au XIX ème siècle, d’une esthétique aussi. On connait les mots durs de Baudelaire sur la photographie (« la vile servante des arts »), on connaît aussi le profond impact de ses cadrages, de ses lumières, de ses compositions sur les peintres et la transposition dans leur peinture. Un renouvellement qui ressourçait la pensée. Maude Maris est une intrigante qui joue des dialogues intimes entres les sculpteurs et leur pans photographiques cachés auxquels de petites figurines entremetteuses dispensent de malicieux clins d’œil picturaux.

Dans son atelier il y a elle, sa lumière, la délicieuse approche de sa pensée, les livres qui jalonnent ses procédés et nourrissent son approche silencieuse. De part et d’autre des murs se font face les photographies et ses peintures. Entre, il y a là, furtive et délicate, l’énergie du peintre. Elle abrase l’image et la fond dans une atmosphère crayeuse. Une tension perceptible qui tente de se rejouer dans l’espace d’exposition.

Suspensions et contrepoids, recouvrements et transparences, limites et confrontations de surfaces, les gestes, les touches et textures montrent la réflexion intime qu’elle a nourrie dans l’élaboration de cette série. La photographie étaye la peinture…

Or l’échafaudage est cet élément de soutien, cet étai provisoire mais nécessaire pour que les choses tiennent le temps de l’élaboration. Un état de suspens. C’est donc dans le cœur des ateliers des maîtres où se trame l’intime – ce qui ne devrait pas être visible – que vient se ressourcer plastiquement et sensiblement Maude Maris. En fait, l’image photographique rend cette part de visible. Elle confère une présence à cette latence de l’expérience qui se niche dans les entres des étais, dans les atmosphères singulières de ces ateliers. Problématique plastique, métaphore d’une évolution, construction picturale, les peintures de la série Les Grands Profils déploient d’angle en angle les comportements de la matière, sa mollesse comme sa minéralité. Dans les prises de vues d’atelier de ces sculpteurs, les échafaudages créent des lignes de force au sein de la composition de l’image photographique. Ils composent tout en brouillant la lisibilité des sculptures et révèlent l’atelier comme œuvre.

Chacune des peintures semble apparaître comme un grand pan, un des profils d’un projet plus général au sein duquel s’inscrit le comportement des éléments dans l’espace physique du support. La série sobre présente neuf peintures aux formats identiques (120 x 90 cm) qui permettent à Maude Maris de se jouer des tours de l’espace et de la gravité chaque fois différemment tout en conservant une unité. Les problématiques inhérentes à la sculpture sont inscrites dans son travail pictural. On y ressent le poids, la gravité, les renversements de l’espace. Du volume aux plans, ces figures placées dans l’espace pictural parlent de sculpture mais restent des présences libérées des références. Une façon de mettre à jour le processus sous-jacent par le truchement de la figure.

Sa délicate palette et sa touche légère, à peine posée, viennent parfois modeler les formes. Parfois c’est un geste plus radical, plus pictural qui vient contredire la figure. Les couleurs rompues par la lumière subtile livrent ainsi les facettes de chaque peinture. Ce sont des gestes de peintre aussi, des structurations d’espace. Elle semble avec élégance et culture se livrer aux pièges de l’image photographique tout autant qu’à de ceux de l’espace pictural. S’y livrer pour désincarcérer les éléments qui les sous-tendent, les libérer pour tendre des fils d’Ariane. Les Grands Profils éliment le caractère photographique tout en conservant l’essentiel du corpus qui les animent, ils éliminent l’image et livrent une pure peinture.

Texte Laurence Gossart © 2017 Point contemporain

Maude Maris, Les grands profils
Exposition personnelle du 02 au 28 septembre 2017, Galerie Isabelle Gounod

Fragments d’expositions

Maude Maris, Foyer / Galerie Isabelle Gounod

Dans le format paysage de l’huile sur toile Vestales, sept totems se dressent en quinconce les uns à côté des autres. Ils creusent l’espace de la toile en profondeur vers un horizon lointain, évanoui, leurs masses établies sur une surface opalescente. De l’objet initial récolté par Maude Maris et moulé ensuite avant d’être reproduit sur la toile, il ne reste que l’embaumement. La matière est tantôt sculpturale, striée, tantôt aplanie, drapée, et les textures amusent les sensations visuelles en déjouant les repères perceptifs et les points d’accroche de l’apparente réalité. Maude Maris absout la réalité quotidienne et utilitaire de l’objet pour n’en garder que sa forme comme substance primitive au déploiement de l’imaginaire. Les glacis et l’aspect lisse de la matière picturale donnent au tableau une lumineuse transparence qui fossilise dans l’espace les formes hybrides aux aspects organiques, aux allures minérales. Ces formes, constituées en binôme, seraient l’évocation des vestales romaines antiques, gardiennes du feu sacré de la déesse du foyer Vesta. La forme située en bordure gauche de la toile rappelle en matière une torche de bois, étendard de la flamme romaine. Le moulage situé à l’extrémité droite semble d’autre part évoquer le drapé d’une toge romaine. Ainsi, Foyer étant le titre de l’exposition, cette toile de grande envergure se pose en manifeste pour les oeuvres présentées à la Galerie Isabelle Gounod du 5 septembre au 24 octobre 2015.

Une autre toile, Rudiments, présente la structure élémentaire d’un abri rustique construit par la superposition d’éléments architecturaux. La composition et les couleurs plâtreuses fossilisent hors du temps l’idée d’une cabane en bois, où la lumière qui rayonne entre ses fondations, répartit  sous les formes de longues ombres rectilignes. L’intérieur de l’édifice est contenu en ses fondations même. Le travail d’archivage et de moulage en amont de la réalisation des peintures et partie constituante de l’oeuvre de Maude Maris, donne aux formes agencées entre elles, une plénitude et une ampleur qui confère à ce squelette architectural, la révélation de ses dispositifs internes. L’aspect externe des formes divulgue ce qu’elles contiennent en secret.

La composition de l’oeuvre Roma est d’une grande justesse. Lumineux en surface, les objets créent au centre de la toile, un refuge sombre où les ombres font s’entrechoquer entre eux les jeux de relief. On devine des vestiges de drapés antiques sous lesquels la peinture éclatante mauve, ocre, transparait et donne aux formes peintes par Maude Maris l’amplitude du mystère qui entoure leur provenance. La scénographie onirique de ses oeuvres invite alors à la pérégrination, dans cette région secrète de l’imaginaire située aux frontières de l’Histoire, du souvenir et de l’enchantement.

http://alizee-gazeau.tumblr.com/search/maude+maris

Foyer, Galerie Isabelle Gounod, Paris, 2015

Text by Nanda Janssen

 

For her second exhibition at Isabelle Gounod Gallery, Maude Maris presents her new project “Foyer”. In this new works , painting, sculpture and architecture are even more closely aligned. Her ideas in this respect are definitely not restricted to the canvas but will extend here in a scenography staged specifically for the gallery space.

Maude Maris makes a name for herself with her tranquil paintings halfway between landscape and still life.

Small objects found on flea markets or on the street are cast in plaster. By doing so the artist can manipulate the object, give room to the unexpected by allowing little ‘accidents’ to happen, and preserve the texture. Children’s figurines, the arm of a doll or statuettes of the Holy Virgin or the head of a dog, anything can offer an interesting shape. Maris is interested in the transformation of the object. Formal analogies are key: if the head of a dog is turned ninety degrees, it suddenly seems a molar; if a figurine is decapitated, it resembles a landscape; a dolls arm corresponds to a branch; Virgin Mary’s pleated dress to a rock. Very recently, the artist also casts natural elements that she gathers from her direct surroundings like small branches or stones. To complete it, she sometimes uses rocks or fossils directly, without casting them. In the paintings all these objects come into play: casted natural and artificial objects and real, natural objects.

Each painting is the result of an elaborate process: collecting objects, casting them, create a composition, photograph it and finally paint the photograph. Each step adds a new layer of distance and flattens the objects. This detachment is enhanced by the painting technique. The brushstroke is discreet and the objects are translated into artificial pastel colours. However, the palette is changing: black and greys have recently made their entrance. On the whole, the use of three-dimensional software in her early work has left its mark on her current work. It has caused this artificiality and a smooth and plain aesthetics. Maris applies the stroke, the shadow much used in computer programmes to suggest depth, to pin down the object in the undefined space.

At first the objects were depicted in a neutral, white room hinting to both the museum space and the living room, and thus to the sculptural or utilitarian function of the depicted objects. The space has opened up now that these three walls have disappeared. The (faint) horizon is the only suggestion of space. As a result the depiction floats between a landscape and a still life.

Clearly sculpture is very present in Maris’ work. Not only in the working method (the casting of objects) but in her subject matter too: the focus on shape. As said before, in her paintings the objects hover to and fro an autonomous, sculptural position and utilitarian use. Since 2010 the painted shapes have stepped out of the canvas and have materialised in real space. The recent solo show ‘Nemeton’ in Musée des Beaux-Arts in Rennes (2015) for example presents an installation( paintings and sculpture). Like her paintings, sculptures are made with an economy of means. The works in ‘Nemeton’ and in ‘Foyer’, Maris’ current solo show here at Isabelle Gounod Gallery, explore both the early beginnings of architecture.

The source material that inspired this new body of work are drawings from the Middle Ages to the eighteenth century that depict how nature lies at the basis of the Greek temples, for example tree-trunks became pillars by simply cutting off the branches; in the same vein abbot Laugier promoted in his ‘Essay on Architecture’ (1753) to renew architecture by returning to its origins, the publication contained an illustration of a primitive hut; and Mario Merz’s stone slab igloos underline the relation between architecture and sculpture. Maris mixes in her current work her interests in antiquity, prehistory, primitivism and even fantasy. Stones, rocks, branches, fossils and other shapes that are part of Maris’ vocabulary are stacked, piled and arranged in a simple and straightforward manner. The compositions evoke associations with Stonehenge, Greek temples, pyramids, primitive huts and fireplaces. Thus, with all these constructions Maude Maris shares with us the universal and primitive gesture of stacking.

Les noctambules

Les œuvres de Maude Maris (peinture, dessin, sculpture) sont un jeu avec l’illusion, par les tensions créées entre les objets représentés et leur mise en scène, entre un vocabulaire formel s’appuyant sur des éléments familiers (végétal et minéral, industriel et architectural) et celui de l’abstraction. Dans ses peintures à l’huile évoquant des natures mortes, l’artiste donne à voir un monde à la fois matériel, charnel et mental dont la dimension fantastique semble s’intensifier.

On trouve des tensions similaires dans l’intervention de Maude Maris au Théâtre de Caen, une série de grandes photographies murales fixées sur neuf parois des foyers. Sur quatre niveaux, Les Noctambules présente des paysages imaginaires fonctionnant par paires inspirés de spectacles de danse et d’opéras joués dans les murs du théâtre. L’ensemble obéit à une progression spatiale et narrative qui mêle formes géométriques et organiques, effets de densité et d’éclatement. Les références aux scénographies et décors des spectacles choisis par l’artiste deviennent des éléments résiduels (objets et fragments d’objets, figures, sculptures) qui prennent place dans un espace-temps onirique, à la profondeur déstabilisante. Plusieurs types de déplacements sont à l’œuvre : permutations de certains objets et figures d’une scène à l’autre, passages d’un monde en torsion, physique et nerveux (Blanche-Neige d’Angelin Preljocaj) à des évocations de l’enfance (Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein et L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel) ou un classique du ballet (Le Lac des cygnes).

À partir d’une sélection d’objets de ses collections (repris en moulages de plâtre teinté ou blanc, ou utilisés tels quels, puis photographiés sur un fond anthracite), Maude Maris recompose ainsi des sortes de ballets, de danses. Les images, mêlant effets de flou et de netteté, et les matières lisses, plissées et rugueuses des objets figurent des assemblées mystérieuses dont on ne sait si elles sont inquiétantes ou bienveillantes. Le spectateur est confronté à une expérience quasi-métaphysique qui opère sur les processus de reconnaissance et de perte des échelles et de la réalité des objets. C’est toute la force et l’originalité de cette installation qui conjugue l’idée d’une mémoire des formes avec les dimensions éphémère et magique propres à tout spectacle.

Alice Laguarda
Critique d’art et d’architecture, professeur d’esthétique à l’Esam Caen/Cherbourg

Introducing Art press, n°407

Text by Julie Crenn

Translation : C. Penwarden

 

Combining painting, volume and drawing, Maude Maris constructs a visual and mental universe of carefully articulated forms, objects and colors.

When she left art school in Caen in 2003, Maude Maris painted artificial landscapes, gutted houses, caves and aquariums, gradually articulating a meditation on the ruin and an idealized representation of nature. Her landscapes seemed frozen in time, bathed in soft light and unreal colors. The latter came from synthetic materials used to make environments and from objects conveying a reassuring vision of nature as something mastered. She is also interested in architecture and space, which is why she spent a year in the Hubert Kiecol’s atelier at the Kunstakademie in Düsseldorf. « With him I was looking to find the rigor and high standards I needed for my own explorations. »(1) There she worked in collaboration with architects and produced mainly three-dimensional objects. She was also inspired by some of the German art she saw : the photographs of Frank Breuer and Thomas Demand, sculptures by Imi Knoebel, paintings by Thomas Huber and architectural projects by Gottfried Böhm. Maris’s intensive visual experimentation gave her work a new dimension. Between 2009 and 2010, she collected Internet images and reprocessed them using software. « I wanted to get a grasp of all the different parameters related to the question of viewpoint ».

She sets out her objects in a virtual space bathed in artificial light, composing her still lifes on the screen before transferring them onto the canvas. The software enables her to modulate the intensity of the light and create zones of shadow which divide up the space in another way. But while this gives her increased control of the light effects, she loses the relation to material and color. Consequently, it is necessary to appropriate. « I couldn’t see the point anymore of working with objects and images that didn’t belong to me. » So she then started looking for objects related to the idea of a controlled nature : toys, everyday junk, decorative elements. After cutting, polishing and casting in plaster, the trace of the object is painted in synthetic colors such as blue-green, silver gray, pale pink, beige or gold-brown. The new objects are then laid out in a three-sided box open at the front. These compositions are photographed and then painted on canvas. The final work is thus a result of a long process punctuated by filters leading to a smoothed image. By getting rid of thickness and texture, the artist aims to preserve an almost surgical effect of distance in relation to the object.

 

THE WORLD ON STAGE

Initially Maris worked with a single object, developping a meditation on isolation, the solitude of an object placed in an empty, neutral space. Gradually other objects came to colonize this same space. They contribute to the theatrical character of her work because they perform the function of both props and characters. As her casts accumulate, so the artist builds up a collection of objects, which she classifies in families defined by form, color and power of evocation. She sees them as « characters that share the same stage. »The colored casts are set up in a room whose appearance may be natural or domestic. These silent, enigmatic actors call on our memories, our imaginary and our history. Maris thus extends the art of memory put in place, among others, by the Italian primitives, one of her main sources of inspiration. Their paintings feature open space which convey different time frames and, consequently, generate several different narratives within a given work. Maris’s still lifes are frozen in time and space. It is for the beholder to move around within them mentally so as to penetrate their secrets, which are at once alluring, appetizing, and fascinating but also disconcerting and unusual.

Based as it is on constant sampling, the imprint constitutes a driving element in Maris’s work. Casting found objects is a first kind of imprint. Her three-dimensional pieces are also imprints of painted works. Indeed, the sculptures represents the hidden side of the paintings. The artist uses the floor-plan of her objects, taking their outline and cutting out their silhouettes in sheets of colored polystyrene. The sculptures can thus be read as ghosts. They partake of the creation of environments in which photographs, paintings, sculptures and drawings come together. If we are able to enter the paintings, and find our way round the objects, we will come up against the things that exist behind the scenes, off-camera, out of the frame. « Volumes are the exterior and the paintings are the interior of the space. » Maris encourages us to enter her soft, unsettling world. She recently started knocking down the walls of the boxes she works with, letting in natural light. Each action, however slight, has a host of consequences. Reflections, colors, brightness and shadow, are no longer the same. The theatrical dimension is gradually fading to let in the real-complex, impossible to control and unexpected.

 

(1) All quotations are from a conversation with the artist in July 2013

oeuvres-revue.net

La peinture de Maude Maris est irrésistiblement lisse ; ses formes, on dirait qu’elle les a poncées avant de les lustrer avec une peau de chamois. Mais le geste laminaire de Maude Maris n’est pas mécanique, il ne fait pas disparaître l’infime grain de talc qui recouvre la plupart des objets qu’occupent ses compositions. Procédé mystérieux, qui donne de sa peinture l’impression d’être enfermée derrière une vitre éclairée, embuée par un écart de température.

Derrière, l’image n’est que formes adoucies, pâles, mordues et découpées par un curieux processus qui semble être l’inverse de l’usure, quelque chose ayant maille à partir avec le givre et la gravitation. Agencés dans des espaces clos, au sol, et parfois le long de murs et de parois, certains de ces objets sont clairement minéraux, d’autres encore sont synthétiques. Catégories auxquelles s’ajoute une dernière, improbable, et qui pourrait être de la famille des flans industriels à démouler. Le silence qui englobe cet espace est à mettre en relation avec l’impeccable propreté qui y règne. La poussière a tellement été faite, le propre et le brillant partout passés, que plus rien ne reste pour perturber la justesse de ces éléments dont la vie imperturbable ne se préoccupe pas de leur beauté. Similaire à celle de ces espèces animales, dernières représentantes d’une branche éteinte depuis longtemps, ils la tiennent de trop longue date pour qu’il soit nécessaire de l’expliquer ou de la démontrer.

Face à cette peinture, on se croit dans un laboratoire de physique, en présence d’une expérience culinaire très lente, en cours depuis des siècles, et que plus personne ne saurait vraiment expliquer, ni pourquoi elle a été commencée, ni comment l’arrêter. La seule chose possible est de regarder le vide se créer entre les formes, relever les nuances qui apparaissent entre elles, choisir sa préférée, comme on choisit un ballon de baudruche dans une fête foraine, sans comprendre que ce qu’il renferme conditionne, au choix, son échappée ou sa disparition.

Exposition Maude Maris à la Galerie Isabelle Gounod à Paris, du 9 novembre au 21 décembre 2013

CP de Réserve lapidaire, Galerie I. Gounod

Ce qui d’emblée pourrait caractériser la peinture de Maude Maris est une certaine qualité de silence : silence du « faire », dont le geste s’emploie à effacer ses propres traces ; silence polaire de sa lumière enveloppante et de ses tonalités douces ; silence enfin de ces espaces cloisonnés, uniquement peuplés de volumes blancs ou colorés, à la fois étranges et vaguement familiers.
Cet abord mutique — cette réserve — est sans doute l’une des conséquences du complexe processus de travail mis au point par Maude Maris : elle fabrique en plâtre de petits volumes, pouvant être colorés, et qu’elle agence avec soin à l’intérieur de la maquette d’un espace rectangulaire et blanc. L’ensemble, éclairé avec précision, est photographié : l’image qui résulte de cette prise de vue est la base à partir de laquelle un tableau sera réalisé.
La succession de ces étapes participe d’une stratégie de mise à distance de la peinture avec son « modèle » — mais pas seulement : elle témoigne également d’une approche réflexive, voire conceptuelle, de la peinture qui se construit en amont, dans ce qui l’excède. Symétriquement, la peinture se poursuit en aval dans la logique déconstructive et expansive des volumes et des installations. Pour l’installation au sol présentée dans l’exposition, Maude Maris a initié une collaboration avec Sylvain Tranquart, créateur de mobilier contemporain. Elle réunit un ensemble de « boîtes » ouvertes, contenant des formes grises dont elles épousent les contours. Discrètement montées sur roues, elles semblent en lévitation et autorisent de multiples réagencements de la part de l’artiste comme des visiteurs. S’y redéploient les matériaux de la peinture : des éléments de facture très lisse, dont les contours associent géométrie et organique, portés par une structure qui fait le trait d’union avec l’architecture, et préserve le caractère transitoire des relations qu’ils entretiennent.
Les objets qui peuplent la peinture de Maude Maris appartiennent à différentes familles de formes — organiques, minérales, mécaniques —, évoquent des fragments très stylisés de paysages rocheux, de curieuses pâtisseries ou de confiseries, ou encore figurent des polyèdres complexes. Ces formes suggèrent parfois des fonctionnalités potentielles — des contreformes appelant des emboîtements, des creux susceptibles d’accueillir un corps au repos. Tantôt solides et opaques, tantôt translucides et comme gélatineuses, leurs textures renvoient aux changements d’état de la matière qu’implique le recours au moulage grâce auquel, de fait, ces petits volumes ont été réalisés.
Moules, empreintes, creux et contreformes sont autant d’indices de leur intériorité, elle-même porteuse d’évocations anthropomorphes. Les tableaux mettent en scène les relations que ces objets-corps entretiennent : la distance qui les sépare, les espaces « entre » (un tableau s’intitule significativement Antre, un autre À deux), leur rapprochement et leurs points de contact — fussent-ils de l’ordre de l’inframince d’ombres glissant au sol pour effleurer un objet voisin.
C’est aussi de ces rapports — des rapports sociaux, en somme — qu’il est question dans les tableaux de Maude Maris. Ils se muent alors en place publique, en forum où se tiennent des assemblées d’objets, bruissant du murmure de leurs conversations silencieuses — en théâtre, pour le drame discret qui se joue là, dans l’intensité de ces simples présences.

Catalogue du prix de Novembre à Vitry, BIENVENUE AU PALAIS

Partout présents, acteurs d’une gestation étrange, les objets de Maude Maris sont à l’origine de ses peintures. L’artiste s’est créé des petites familles chinées dans les « foires-à-tout », des topographies Playmobil, des éléments d’allure mécanique, des formes géométriques basiques ou encore des pièces en creux qui évoquent des piscines ou des lacs artificiels. Maude Maris moule ensuite ces objets miniatures, les rehausse de peinture puis les met en scène dans une maquette minimale dont le plan est partitionné en fonction de chaque nouveau projet. Dans cet espace non typé, l’artiste manipule ses objets jusqu’à leur inventer un rythme de cohabitation, dans lequel la lumière joue un rôle essentiel. Photographiés, ils sont alors prêts à entrer dans la peinture, et à questionner leur relation à l’espace pictural. Enfin, Maude Maris les extrait parfois du tableau pour les spatialiser – via un nouveau scénario sculptural cette fois-ci – dans l’espace d’exposition, cherchant à jouer encore différemment la qualité de leur présence, en dialogue tendu avec le contexte et les lois de la gravité. Pour cette artiste, donc, les volumes sont des entrées, mais aussi des sorties, et la peinture une pièce de vie.

Ce que nous voyons, ce qui nous regarde
Georges Didi-Huberman en fait la démonstration avec le grand cube noir du sculpteur Tony Smith, mais chez Maude Maris cela fonctionne aussi : ses rassemblements d’objets peints révèlent peu à peu leur pouvoir de fascination, leur inquiétant mutisme, leur intensité. Les regarder, c’est repenser le rapport de la forme et de la présence, de l’abstraction géométrique et de l’anthropomorphisme. Incidemment, l’artiste parle de ses objets comme de caractères : ils se partagent un même espace, que l’artiste tend à sur-peupler dans ses dernières toiles. Elle nous pointe ainsi des questions de peinture (l’importance du cadre, de l’installation, la bonne échelle de représentation, le traitement de la perspective), mais nous renvoie aussi à la vie quotidienne (trouver notre place, habiter l’espace, en solo ou au sein d’une multitude).

L’art de la mémoire
Maude Maris a beaucoup réfléchi la question de l’image comme manière de faire du faux, du côté de René Magritte comme de Thomas Demand. Mais elle s’est aussi intéressée à la faculté qu’eut la peinture — au Moyen-Âge et début Renaissance — d’articuler des chambres de mémoire, telles que les a décrites Frances Yates traduite par Daniel Arasse. À la manière des Primitifs italiens qui scindent l’espace en cases pour y intégrer différentes narrations et temporalités au sein d’un ensemble, les tableaux de l’artiste pourraient alors se lire comme les différentes pièces d’un même bâtiment cérébral, un palais-polyptique où chaque pièce incarnerait une association d’idées.

L’inventaire indécis
Dans ce palais silencieux, les impassibles objets et espaces de Maude Maris demeurent traversés de multiples référents : certains fragments évoquent les ruines, l’univers des fouilles et des réserves de musée ; d’autres éléments sont très proches du mobilier et disent en creux le corps absent ; l’espace est à la fois domestique et mystique, nimbé d’arrivées de lumières spectrales ou d’ombres projetées irréelles ; l’atelier et la notion de plateau de tournage sont aussi conviés, un envers de décor avec étais et cimaise ; mais on croise également un moule à gâteau qui vient souligner le côté culinaire des ambiances chromatiques, façon cupcakes et pièces montées. Enfin, ici ou là, des escarpements montagneux, des reliefs de grotte ou de muqueuse ou de flore sous-marine légèrement gélatineuse. Mais aussi, entêtants, ces empilements d’objets à l’esthétique géométrique et minimale, qui rappellent les étagères de l’atelier de Brancusi.
Piochées dans la variété du monde, ces formes laconiques chargées de sédiments paradoxaux distillent le doute : paysage calme pour réalité flottante, peuplée d’objets schizoïdes, caractérisés mais pourtant dotés d’une personnalité instable, et tous liés à la notion d’artifice et d’architecture, de multitude et de solitude.

Ouvrir l’espace
Si elle-même se revendique bien davantage peintre que sculpteur, Maude Maris se lance de plus en plus dans l’imbrication des pratiques — elle cite d’ailleurs Jessica Stockholder ou Richard Tuttle pour leur grande liberté à circuler d’un médium à l’autre. Dans ses travaux récents, il semble patent qu’une ouverture de l’espace pictural (disparition du plafond omniprésent dans le passé, entrée vive de la lumière, apparition de lavis et de trouées presque transparentes, surgissement de couleurs plus soutenues et moins froides) va de pair avec une recherche sculpturale de l’envol, de l’évidement des structures porteuses, de la lévitation des formes qui se décorporent. Si la peinture continue de défendre son aisance crémeuse et lisse, si les variables climatiques indiquent toujours une tendance polaire, dans l’univers de Maude Maris des signes d’éclaircies moins maîtrisées pointent à l’horizon. Comme un lâcher-prise annoncé dans ce palais mental.

Art dans les chapelles

Les peintures de Maude Maris sont peuplées de formes mystérieuses oscillant entre végétal, minéral et objets de la vie domestique. Mais dans les toiles les plus récentes, quelque chose a changé. L’espace s’est ouvert et les couleurs artificielles employées par l’artiste (bleus verts, bleus, mauves…) sont devenues plus claires. La lumière irradie désormais les scènes, renforçant l’aspect étrangement charnel des formes et des objets représentés.
Pour la sculpture Élévation présentée dans la chapelle Notre-Dame du Guelhouit, Maude Maris établit un dialogue avec le lieu qui repose sur un principe similaire d’ouverture par des jeux d’échelles et de couleurs. La sculpture est constituée d’une structure en bois brut de deux mètres de haut, évoquant un échafaudage ou une architecture, qui accueille des formes en polystyrène coloré. Le dispositif fait écho à la voûte peinte de la chapelle, un ciel bleu parsemé de nuages stylisés. Les formes et les couleurs des plaques de polystyrène (bleu, vert, gris, orange) suggèrent qu’une diffraction des couleurs de la chapelle s’est produite, comme une peinture projetée, éclatée dans l’espace.
L’artiste s’inspire aussi des caractéristiques morphologiques de cette petite chapelle hexagonale, toute en rondeurs. Les formes en polystyrène, par leurs découpes, sont à la fois organiques et abstraites : peut-être sont-elles les sœurs lointaines des Constellations et Reliefs de Jean Arp et des papiers découpés de Matisse ? Installées de différentes façons dans la structure (posées à plat, debout ou en équilibre), certaines d’entre elles sont comme des fragments d’architectures.
La sculpture de Maude Maris repose sur un principe dialectique proche de celui qui est à l’œuvre dans ses peintures. La structure-échafaudage en bois brut est une grille, rationnelle, répétitive et régulière. Elle se distingue des formes en polystyrène, disparates, aux couleurs artificielles. Par leur disposition dans la structure, ces formes surélevées ouvrent à un autre niveau de sens, offrant une échappée vis-à-vis de la rationalité. Elles sont des réserves de significations à venir qui mettent en crise la rigidité et la neutralité de la structure-grille.
Cette dialectique renouvelle les interrogations de l’artiste sur les relations entre abstraction et figuration, peinture et architecture. Elle est aussi le gage d’une élévation, d’une émancipation. Au paysage naturel qui environne la chapelle et qui monte légèrement répond ainsi le mouvement ascensionnel des plaques de polystyrène posées sur la structure. Avec ces formes en suspension, prises entre ciel et terre, lévitation et chute, Maude Maris construit une percée dans un espace clos sur lui-même, dédié au recueillement. S’offre alors à nous le spectacle d’un monde matériel perpétuellement transformé et transcendé.

Artothèque de Caen

On peut répéter, après quelques-uns, que Maude Maris fabrique des objets, qu’elle les moule et, qu’ensuite, elle place les formes obtenues par moulage dans une petite boîte, maquette ouverte sur un côté, et qu’elle photographie, dans un éclairage donné, la composition et c’est à partir de la photographie qu’elle effectuera une peinture.

Proposition 1
La peinture de Maude Maris est, donc, soumise à un processus ou, plus précisément, à la mise en place d’un dispositif qui peut évoquer celui de Giorgio Morandi – chez ce dernier ce sont des objets réels recouverts d’une couche de peinture blanchâtre et disposés sur une sellette soumis à des déplacements minimes années après années – ou celui de Nicolas Poussin – qui effectuait des mises en scène avec de petites figurines avant de commencer sa composition – et qui, comme Morandi, n’est pas montré, mais est sous-jacent, base de la peinture et non finalité. À la différence de Morandi qui vérifie d’après nature – même si celle-ci est théâtralisée –, on peut supposer que ce dispositif est une mise à distance : ce n’est pas l’objet que Maude Maris peint, mais une photographie d’un positif obtenu par moulage. La peinture est, donc, le résultat d’une série de filtres qui visent à abstraire l’objet. L’objet est, non seulement, dénaturé par la moulage, mais, également, par la photographie qui aplatit cette réalité, puis par la peinture puisque la couleur donnée à l’objet dans le tableau ne correspond en rien à l’objet de départ. Il en va de même pour les matières qui prennent une dureté ou une mollesse, une brillance ou une matité, là aussi, indépendante du document initial. Il y a projection d’un arbitraire pictural – comme par une opération de mapping dans un logiciel 3D – sur une base de réalité interprétée.

Proposition 2
Il ne s’agit donc pas, seulement, de mesurer quel est l’espace entre les choses ou comment un objet vient vibrer à proximité d’un autre – ce qui était l’essentiel de la peinture de Morandi –, mais, aussi de construire un espace qui semblera plausible avec ces objets arbitraires. La boîte dans laquelle sont placés ces artefacts est un lieu neutre où s’établissent des relations tangibles entre des objets pourtant abstraits – au sens où ils ne ressemblent à rien d’autre qu’à eux-mêmes et qu’ils n’entretiennent qu’un rapport lointain avec la réalité. Comment passe-t-on d’une masse à une autre, d’une diagonale à une courbe, d’un empilement à une dispersion, d’un creux à un plein, d’une ombre à une lumière, d’un reflet à son absorption… ? Maude Maris nous donne à voir des objets abstraits, mais les moyens picturaux mis en œuvre pour nous les montrer sont figuratifs. La peinture est, chez Maude Maris, le moyen de nous faire croire à des abstractions. Elle procède d’une illusion anomale – tout comme dans la peinture d’Yves Tanguy bien que je ne croie pas que cet artiste soit revendiqué comme une influence par Maude Maris.

Proposition 3
Les moyens utilisés tendent, donc, vers le vraisemblable dans l’imitation par la lumière, le modelé, l’ombre portée, la perspective… Si la peinture de Maude Maris évoque un langage bien classique, elle semble se rapprocher encore plus de l’imagerie digitale, celle que l’on appelle l’image de synthèse et qui domine et va encore plus dominer dans la représentation, de nos écrans d’ordinateur à celui du cinéma. Mais l’image de synthèse évoquée ici est plus archaïque que celle utilisée par James Cameron dans Avatar. Les peintures de Maude Maris semblent construites comme des images synthétiques (construction 3D et mapping), mais celle-ci montrent qu’elles sont artificielles, ne tentent pas de nous leurrer, insistent sur leur nature d’artefact, sur le fait que nous sommes devant des simulacres. L’illusion est minimale. Il s’agit de construire une abstraction paradoxale.

Proposition 4
Abstraire, abstractions… on peut supposer que si ce dispositif est utilisé, c’est pour construire un espace analogique qui pourra être mis en relation avec le réel, mais sans être nommable ou assignable ou qu’il s’agit de représenter un espace mental – on passe d’un réel à une vue de l’esprit par l’ensemble des moyens déployés par le dispositif. Ou : on voit des objets virtuels dans un espace et une lumière plausible sans qu’il soit possible de dire ce dont il s’agit. De la même manière, l’échelle de ces objets est inconnue et n’est pas nécessairement donnée par les dimensions de la peinture. Tout au plus peut-on dire qu’ils sont contenus dans une pièce – exceptés les petits formats qui montrent ces objets disposés simplement sur un sol dont la profondeur est donnée par un dégradé. Nous sommes devant des représentations d’un monde à la fois familier – le langage utilisé tente de le rendre – entièrement dévolues à la représentation de virtualités qui sont peu bavardes – sinon par ces fameuses analogies qui restent tout de même aléatoires, comme toute analogie –, ne désignent rien, restent secrètes.

Proposition 5
La peinture de Maude Maris est d’autant moins bavarde que les moyens mis en œuvre pour leur réalisation sont remarquablement discrets : pas d’empâtements, pas de gestualité, pas de coulures… juste ce qui est nécessaire dans une touche visible mais homogène, dans une exécution appliquée et propre mais sans brio. La peinture de Maude Maris est une peinture lisse dans sa surface et d’une expressivité discrète dans ses effets. Le seul effet qui est accentué est celui du reflet des objets sur le sol, évocateur évident d’un cliché d’aujourd’hui, celle des interfaces graphiques des ordinateurs et lecteurs mp3 d’Apple – en cela un stéréotype tout aussi inexpressif. Elle est une peinture distanciée, sans ego – et c’est en cela surtout qu’elle m’évoque la peinture d’Ed Ruscha. Vide de tout contenu symbolique, de toute expressivité, de toute référence à un réel… elle est la représentation d’une scénographie qui n’attend aucun acteur, aucun corps et aucun texte pour exister. Elle scénographie sa propre puissance à être dans un silence presque complet.

Propositions concerning the paintings of Maude Maris
(traduction Stéphanie Levet)
Let us say once again, after a few others, that Maude Maris makes objects, that she moulds them, and then places the shapes she has cast into small boxes, models that are open on one side, that she then, under given lighting conditions, takes photographs of her compositions, and that it is finally from these photographs that she paints her paintings.

First Proposition
Maude Maris’s paintings thus undergo a process or, rather, the implementing of a setup which may recall Giorgio Morandi’s—with Morandi the setup consists in real objects covered in whitish paint and arranged on a small stand being year after year submitted to minor displacements—or Nicolas Poussin’s—Poussin staged figurines before starting on his compositions—, a setup which, as with Morandi, is not shown, but which is nevertheless underlying the painting, being its basis and not its end. We can suppose that, contrary to Morandi who checked after nature—even though it was a theatricalized nature—, Maude Maris conceives of her setup as a way of putting things at a distance : she is not painting an object, but the photograph of a positive she has obtained through casting. Her painting is thus the result of a series of filters whose aim is to abstract the object. The object is denaturalized not only through the casting process but also through photography, which flattens its reality, and then again through painting, as the colour given to the object in the painting has nothing to do with that of the initial object. And the same goes for materials, which take on a hardness or softness, a brightness or dullness that bear no relation either to the original document. A pictorial arbitrary is being projected—as if through the use of mapping in 3D computer graphics software—onto a basis of interpreted reality.

Second Proposition
What is at stake, then, is not only measuring what space there is between things or how one object is made to vibrate near another—which was what Morandi’s painting was essentially concerned with—, but also building a space that will seem plausible with these arbitrary objects in it. The box in which these artefacts are placed is a neutral place where tangible relationships between nevertheless abstract objects are established—abstract in the sense that they bear no resemblance to anything but themselves, and that they are only remotely connected with reality. How does one go from one mass to another, from a diagonal to a curve, from a piling-up to a scattering, from a hollow shape to a solid one, from a shadow to light, from a reflection to its absorption… ? Maude Maris makes abstract objects visible to us, but the pictorial means she uses to show them to us are figurative. With her, painting is a way of making us believe in abstractions. She resorts to an anomal illusion—just as Yves Tanguy did in his paintings, although I do not think she claims him as an influence.

Third Proposition
So the means Maude Maris uses tend towards likeliness thanks to imitation through light, relief, shadow, perspective… Maude Maris’s painting may evoke a language that is quite classic, yet it seems to be much closer to digital imagery—to those images commonly referred to as computer-generated images which today dominate representation, and will even more in the years to come, from our computer screens to the big cinema screen. But the type of computer-generated image that is being called to mind here is more archaic than that used by James Cameron in his movie “Avatar”. Maude Maris’s paintings seem to be made like digital images (3D modeling and mapping), but they show that they are artificial, they do not attempt to deceive us, they insist on their being artefacts, on our being faced with simulacra. The illusion is minimal. The point is to build a paradoxical abstraction.

Fourth Proposition
Abstracting, abstractions… We can suppose that such a setup is used to build an analogical space that it will be possible to connect to the real, but without it being nameable or assignable, or to represent a mental space—via the series of means deployed in the setup we go from a reality abstracted from the real to a reality seen in a mind’s eye. Or, put differently : we can see virtual objects in a plausible space and light without being able to say what it is we are seeing. Likewise, we do not know the scale of the objects and it is not necessarily inferable from the dimensions of the painting. All we can say is that they are contained within a room—except for small size works which show objects that are simply placed on a floor whose depth is indicated by shaded tones. We are facing representations of a world that is familiar—the language that is used aims to make it seem so—which are yet entirely devoted to representing virtual realities that do not say much—except through those analogies already mentioned, which even so remain uncertain, as all analogies will—, representations which do not designate anything, which remain secret.

Fifth Proposition
Maude Maris’s painting is all the more secretive as the means implemented for its realization are remarkably discrete : no impastos, no gestural marks, no dripping… only what is necessary to a visible yet homogeneous brushwork, to a neat and meticulous execution that shuns virtuosity. Maude Maris’s painting is smooth on the surface and discretely expressive in its effects. The only effect that is emphasized is that of the objects’ reflections on the floor, an obvious evocation of a cliché of our times, the graphic interfaces of computers and Apple MP3 players—and as such, they are just as inexpressive stereotypes. Maude Maris’s painting is detached, egoless—and it is mostly in this respect that it reminds me of Ed Ruscha’s painting. It is devoid of any symbolical content, any expressivity, any reference to any kind of real… It is the representation of a scenography which is waiting for no actor, no human body and text, to come into being. It is staging its own power to be in almost complete silence.

Les négatifs du quotidien

Ce serait un cliché facile que de décrire les volumes peints de Maude Maris – et dont la technique objective renforce paradoxalement l’incertitude fonctionnelle – comme des songes alliant architecture et sculpture et qui ne rechigneraient pas à un brin de métaphysique. Bien qu’issus de variations sur l’informe, ils ne référent pas à des objets existants. Tout évoque néanmoins des reconnaissances vite déçues. Ces masses luisantes, convexes ou concaves, entre viscosité et gélification, suggérant le plastique ou le plomb, sont reproduites en peinture depuis leur modèle réduit. Elles esquissent un usage simultanément trahi par l’observation prolongée.
C’est dans cette oscillation permanente de l’identification des formes délicatement colorées et savamment ombrées que réside cette précarité identitaire. Les peintures de Maude Maris, marquées par un illusionnisme presque inquiétant, à la mesure de leur apparente froideur d’exécution, sont les termes de processus de préparation qui empruntent aux méthodes de la maquette architecturale, du design et de l’esquisse industrielle. Pourtant, bien que le résultat n’ambitionne aucune vocation fonctionnelle – d’autant que tout concourt à troubler la dimension des espaces et des volumes représentés – l’entreprise de cette virtuose dessinatrice pourrait être de nature scénographique. Mais c’est l’humour qui émanerait alors de ces petites scènes théâtrales tant il serait impossible d’imaginer qu’un acteur puisse y circuler ! Plus encombrées que les espaces architecturaux sculptés d’un Absalon, les pièces de Maude Maris pourraient également confiner à une fantaisie critique d’un certain design de l’habitat contemporain.
Car de quoi s’agit-il ? Sont-ils des moules en attente d’engendrer des objets à destination domestique : piscines, cuvettes, bols, fleurs artificielles, râteliers dentaires…Ou peut-être sont-ils plus noblement de contemporains « coins de chasteté » ou empreintes de « bouchons d’éviers » ? Quelle finalité à ces creux et bosses : pâtières et bac à diviseuses en plastique de la marque Gilac gigantisés ou hommages aux objets abstraits tout autant qu’inconvenants de Marcel Duchamp ? Négatifs des objets du quotidien ou déclinaison célibataire du domaine ménager ?
L’étrangeté radicale de ces volumes concentrés dans des espaces exigus subtilement éclairés, fabriqués d’abord, puis photographiés et peints enfin, s’inscrit dans un courant conceptuel et pictural à la fois, dont l’artiste de Düsseldorf Konrad Klapheck, objectif et délirant, fut le représentant le plus marquant. L’agrandissement est précisément pour Maude Maris, à l’instar de l’artiste allemand, une méthode pour entraîner la valeur d’usage de ces moules d’objets devinés et à venir vers leur valeur d’exposition.

Galerie du Haut-Pavé

Dans les peintures de Maude Maris, on remarque d’abord le cadre des scènes qui nous sont proposées. C’est un espace générique, gris et abstrait, qui procure une illusion de réalité par le recours à certains effets de perspective et le traitement pictural des objets qui y sont installés. Ces objets sont hiératiques et silencieux. Ils sont souvent disposés en vis-à-vis. Le cadre étrange qui les englobe et les protège est un cadre ouvert qui rappelle celui des séries de Maisons peintes par l’artiste en 2008 : des vues d’espaces en coupe, d’intérieurs compartimentés et vides dotés de couleurs vives, qui peuvent aussi bien évoquer les « Trésors » de la Grèce antique qu’une maison de poupée. À qui ces objets s’adressent-il ? À quoi sont-ils voués ?
Les « Trésors » grecs, petits temples aux fonctions votives et commémoratives, abritaient des objets précieux et hétéroclites dédiés aux divinités (Athéna et Apollon) : vases, boucliers, métaux, statues de dieux et d’hommes illustres de différentes tailles. Ils étaient installés dans des sanctuaires. Dans les peintures de Maude Maris, un dialogue mystérieux s’instaure entre les objets. Les titres (Réunion, Communauté, Mont rose…) appuient sur l’idée que nous sommes face à des objets humanisés, peut-être sacrés. Or, ces objets devenus figures ne sont pas précieux, ils sont issus du monde industriel et quotidien. L’artiste les réalise d’abord en volume à partir de moulages en plâtre des objets originaux, puis les peint dans des tons vert, bleu, bronze, argent. Ils sont en partie constitués de stries, de failles, de plissures qui génèrent des dessins aux accents minéraux, végétaux ou mécaniques. Comme si ces objets, au-delà de leur enveloppe lisse et autoritaire, possédaient un intérieur vivant. Ainsi, dans ce monde architectural et mental qui semble obéir à des règles d’ordonnancement strictes, un monde organique artificiel et stylisé apparaît qui s’accorde avec la représentation elle-même artificielle de l’espace dans les tableaux. Ces stries, ces failles, pourraient aussi suggérer qu’une forme d’entropie s’empare de ces scènes, comme dans le tableau Bunker (2007) où une masse monolithique est découpée en divers morceaux éclatés sur le sol et habillés de couleur verte. Mais le risque de l’entropie est comme lissé, domestiqué par le traitement pictural des surfaces. Une dualité demeure, qui peut évoquer certains projets des architectes utopistes tels Etienne-Louis Boullée lorsque ceux-ci représentaient, dans leurs temples, l’association de l’esprit et de la nature, le mariage entre une géométrie pure et une nature idéalisée.
Les formes arrondies et lisses de ces objets aux couleurs chatoyantes contrastent avec le décor qui les accueille. Par l’indétermination de leur échelle, les objets s’apparentent à des éléments de mobilier ou des maquettes d’architectures, mais ils possèdent aussi une autre identité. Un certain grotesque s’immisce dans les peintures, par l’écart pris vis-à-vis de l’objet utilitaire et de la construction rationnelle. Une ironie, une incongruité viennent perturber la vision de ce monde mental qui semble si bien contrôlé. Ces dimensions peuvent renvoyer à la peinture d’un Wayne Thiebaud qui réalisait notamment des séries de gâteaux et d’objets du quotidien alignés, des natures mortes ludiques de la société de consommation de masse. Elles font, encore, songer au gros gâteau blanc sphérique réalisé en hommage à Boullée par le personnage du Ventre de l’architecte de Peter Greenaway (1987). On oscille entre mou et dur, organique et spirituel, humanisation et abstraction, entre dureté et gourmandise. Dans les oeuvres de Maude Maris, tout semble ainsi affaire de transposition et d’illusion. Le regard est dérouté par le jeu sur l’illusion de perspective, sur les mélanges d’échelles et de plans. On se perd dans des images d’images, des espaces reconstitués, de fausses profondeurs, de fausses hiérarchies. S’ouvre à nous un espace mental qui conjugue des strates de temporalités, de symboles lointains et familiers, et maintient le trouble sur ce qui est réellement perçu. Une nouvelle « chair » apparaît, dont la représentation repose sur la tentative d’animation et de poétisation d’objets et d’espaces a priori inertes, indifférents, génériques. C’est ce qui donne à la peinture de Maude Maris son mystère et sa puissance d’attraction.

« En l’image le monde »

Dans le travail de Maude Maris, une part importante est faite aux intérieurs, intérieurs aux volumes géométriques simples, tout à fait cohérents du point de vue de l’illusion perspective mais néanmoins tout à fait irréalistes dans leur simplicité même, dans leur abstraction d’images trop parfaites. Tout est évacué de ce qui pourrait faire réalisme, traces de vie ou du temps, pour ne laisser à voir que des enveloppes, des lieux virtuels, abstraits de toute géographie, semblables à ces architectures mentales que les orateurs antiques se construisaient pour y loger le chemin d’un discours. Ce sont des boîtes, des contenants. Le support physique de la toile, espace premier de projection, est donc doublé d’un espace figuré dans lequel peuvent se blottir d’autres illusions encore : des formes lisses ou plutôt des contre-formes évoquant quelque moule industriel, bateau, coque, piscine saisis comme des énigmes surréalistes. Moules mâlics ou machines célibataires comme chez Duchamp  » en aspect d’attente  » ? Cubes ouverts devant nous, mais si serrés qu’ils semblent devoir se refermer sur eux-mêmes comme les scènes de prédelles de Fra Angelico dissimulant dans leur éloquence, leur clarté de rigoureux mystères. Mais tout regard, par le point de vue, le cadre qu’il impose n’est-il pas une boîte ? Tout se passe comme si au détour d’un angle de notre subconscient surgissait un de ces morceaux du monde digéré par la pensée, encore tout luisant de sucs, entreposé là au fin fond d’une architecture inimaginable comme un tombeau de pharaon. Ainsi, le projet s’apparente quelque peu à une figuration de la pensée ; pensée hantée par les images extrapolées du monde visible.

Semaine n°287

Tour à tour peintre, dessinateur et sculpteur, Maude Maris lie ces trois moyens d’expression dans une dialectique créative que détermine le passage d’un projet à ses formulations bi- ou tridimensionnelles. Dans des espaces résolument vides et anonymes, tout y relève de la mise en scène d’objets dont les formes mobilières s’apparentent volontiers à des figures anthropomorphes et font l’éloge des concepts de pli, de plan et de coupe.
Si la série de peintures réalisées à la Villa du Plessix-Madeuc ne joue plus de ceux-ci, elle inaugure un nouveau rapport d’espace au monde naturel. En effet, l’artiste y introduit comme des morceaux de nature aux allures d’îlots ou de petits plans reliefs dont les formes pleines et en creux définissent des topos innommables. Ce faisant, Maude Maris élargit sa démarche au genre du paysage et fait du champ iconique le lieu d’une collusion entre intérieur et extérieur, comme pour souligner notre rapport originel à la nature.

Maude Maris ou le point de vue de la peinture en question

Produire de l’espace dans la peinture
Construire la peinture dans l’espace

Les devoirs de la peinture

« Jouer les mourants ne pose pas de problèmes, c’est jouer la vie qui est difficile », affirme sans ambages le comédien Michel Bouquet. Dans la peinture aussi, ai-je envie de dire, beaucoup jouent les mourants. Car vivre, car créer c’est s’engager, prendre acte de son histoire et avancer. La peinture précisément, dans son histoire, fut liée à deux devoirs, deux fonctions essentielles. La première, et la plus ancienne, consiste en la décoration d’architecture, de maisons, d’églises, de palais et de monuments. L’autre, plus personnelle, plus profonde, plus expérimentale, est en rapport à l’art de peindre même, en intervenant dès le monde antique sur des supports qui se déplacent (peinture de chevalet), et en impliquant dans son art même une dimension significative, contemplative ou intellectuelle. L’intérêt premier du travail de Maude Maris, c’est qu’elle part d’abord de ce constat, et qu’elle en construit de possibles applications.

Produire de l’espace dans la peinture
Construire la peinture dans l’espace

Pour ce faire, l’artiste travaille à partir du document photo. Les clichés réorganisés, accolés dans une perspective axonométrique (Le barrage) ou en plongée (La tour) reconstruisent le point de vue de manière englobante. C’est là la première étape du travail, avant de le transposer en peinture sur des supports en rapport à la construction et au tableau, davantage qu’à la toile. Le principe, on l’aura compris, compte davantage dans son ensemble figuré que dans le détail, ce sont des paysages d’architectures simplifiées, aux motifs réduits à l’essentiel et aux couleurs nuancées. Partant du réel et de la démarche « objective » de l’académie des beaux-arts de Düsseldorf, Maude Maris perçoit une méthode singulière pour produire de l’espace dans la peinture et construire la peinture dans l’espace. Elle vient réconcilier les fonctions historiques de la peinture avec l’entreprise actuelle de son projet.

Tableau d’espace et espace chevalet de la peinture,
Des points de vue portes d’entrée en issues de sortie

Partant de cette réflexion, la peinture prend conscience du mur et se l’approprie dans des supports mobiles, telles des scènes de théâtre, placés de telle manière que le regard de l’observateur sur la peinture se confronte aussitôt à la réalité de son espace, créant un lien fusionnel entre la représentation proposée et son espace d’accueil. Ainsi le mur est tableau d’espace, et l’espace chevalet de la peinture un mur espace qui peut, comme dans Le barrage, se renverser sur un angle de 45°. Avec l’installation La tour, le principe se veut moins chaotique et plus autoritaire, c’est un espace dans lequel le spectateur peut se réfugier. La situation offre autant de peintures que de points de vue, des points de vue qui sont des portes d’entrée, et de fait aussi, des issues de sortie. Nous nous mouvons alors dans un panorama avec un centre et une périphérie, dans lequel on peut circuler. Le dispositif fixe l’observateur de la peinture dans une position et un temps antérieurs, ceux de la prise initiale des photos. Ainsi avec La tour, son ombre étirée peinte sur un des panneaux présente en rappel son absence réelle, dont la menace sombre est dominée. Les panneaux posés sur des équerres de bois prennent position aux quatre orientations sud, nord, est, ouest, offrant des points de vue obliques sur le lieu d’exposition, et qui font scander réalité et illusion, peinture et espace, écran dans l’imaginaire du tableau et points de fuite dans le réel.

Tromper l’objectivité pour la rendre plus apparente

La peinture en perspective (skiagraphia), avec sa recherche de l’effet, est reçue par Aristote comme vulgaire et méprisable en soi. Pour cet illustre philosophe peu enclin aux arts, elle chercherait à tromper, elle vise à troubler la vue, elle engendre des simulacres, ce qui lui fait penser que la peinture ment : « Quant à l’élocution propre aux harangues, elle ressemble tout à fait à une peinture de perspective : plus grande est la foule des spectateurs, plus est éloigné le point d’où il faut regarder. Aussi l’exactitude des détails est-elle superflue ». La peinture, la perspective, la perte du détail, le point d’où l’on regarde, nous sommes au cœur même de l’art en question, hormis que les peintures de Maude Maris ne cherchent pas à tromper la réalité, mais qu’elles la trompent à dessein pour la rendre apparente. L’artiste use de perspectives coniques et centrales aberrantes de manière à ce que ses représentations ne coïncident pas avec les perceptions visuelles, mais qu’elles en accusent la réalité.

Tableau / théâtre / monolieu

La première tentative pour représenter une perspective apparaît en 1584 avec le premier théâtre durable, le Teatro Olimpico de Vicenza. Elle offrait comme l’installation picturale de Maude Maris aujourd’hui plusieurs possibilités d’entrée en scène, et se perfectionna les siècles suivants avec le « monolieu », avant d’atteindre son apogée avec les travaux d’Andrea Pozzo au début du dix-huitième siècle. Ce dernier entreprit de transposer la pratique de la perspective sur les arts plastiques dans les décors « ouverts » du théâtre dont les configurations obliques accentuaient les effets d’échelle recherchés entre l’architecture et les acteurs, selon qu’ils étaient situés en avant ou en arrière du décor. Les propositions de Maude Maris prennent acte de cette histoire, l’assimilent et lui redonnent un nouvel essor, confrontant le sujet et le représenté, la scène et l’auditorium, l’œil multiple et l’espace choisi du regard, le sujet transposé et le sujet absent, l’architecture représentée et le spectateur / acteur dans son théâtre d’exposition.

La seule question du point de vue

Comme une sculpture, les installations disposent de trois dimensions x, y, z, les trois axes qui forment le « repère orthonormé » de la géométrie dans l’espace. D’une certaine manière, l’ensemble construit un décor au centre duquel il conviendra de se placer, sorte de peinture panoramique statique. Pour rompre avec la tradition du point de vue unique de la peinture, et de la camera obscura, les dispositifs de Maude Maris, tel le diorama, s’étalent sur 60, 180 ou 360 degrés, et sont voués, contrairement aux dioramas du passé (scènes d’histoire ou de batailles), exclusivement à l’architecture et aux constructions humaines. Avec la postmodernité et ses techniques, la vidéo, le cinéma, nous connaissons une révolution visuelle ; pourtant, ainsi que dans une peinture romantique de Friedrich dans les cimes montagneuses, le regard se veut toujours dominant face à ce qui lui fait barrage. La position inclinée de l’installation Le barrage ramène à celle des décors, elle permet d’appuyer l’illusion optique en plongée. Maude Maris utilise les lois de la géométrie descriptive, elle réalise un tracé du motif d’architecture à peindre qui offre des surfaces à recouvrir d’aplats et d’autres à peindre de manière plus sophistiquée. Partant d’un point de fuite, elle porte son dessin en perspective avant d’intervenir au pinceau. La pose de ses peintures sur une structure charpentée de bois, tels des chevalets en prothèse, offre, à l’instar des tréteaux pour les tableaux de Claude Rutault, une part de liberté à la peinture qui quitte son mur. Entre peinture de chevalet hybride, sculpture installation contemporaine et décor d’architecture, dans ses perspectives déviées, le propos de Maude Maris pose d’emblée la question du point de vue, et en premier celui d’où l’on regarde. Il faut se placer au bon endroit pour poser un problème, dit Pascal : « Il n’y a pas qu’un point indivisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture. Mais dans la vérité et la morale, qui l’assignera ? »

Après tout, cette peinture c’est ce que vous voyez…

Dans les installations en question, le regard du spectateur doit se ranger, se placer à un point de vue privilégié qu’il doit trouver. Rendu là, il convient de ne se prendre, pour gloser l’écrivain russe Evgueni Evtouchenko, « ni pour un dieu, ni pour un jouet », même si on regarde de haut. Et que voit-on ? « Après tout, cette peinture c’est ce que vous voyez », aurait répondu Olivier Mosset.